Liberdade

Liberdade

Et si mon nom était un peu mon histoire ...

Carolina.

Je l'aime mon prénom. Aujourd'hui, enfin, j'ai appris à l'aimer. Il est moi. Il est mon origine, ma terre, mon soleil. Il est mon pays. Petit royaume insignifiant mais si riche d'amour et de saúdade. Mot intraduisible en français. Nostalgie est la signification la plus proche, mais tellement moins profonde, moins intense.

A ma naissance, on a voulu m'affubler du prénom de Marie-Rose. Prénom qui était celui de ma grand-mère maternelle. Il est vrai que je l'aime ma grand-mère. Elle vient de décéder. Cesse-t-on d'aimer les gens lorsqu'ils partent ? je ne pense pas. Au contraire, l'amour est amplifié par l'éloignement, la perte, le souvenir. Elle a attendu de fêter ses 100 ans pour partir en paix. Elle n'aurait pour rien au monde manqué cet événement extraordinaire. Dans le petit home où elle se trouvait, perdu au fin fond d'un village inexistant sur une carte, la fête avait été préparée avec une infinie tendresse et tant de belles surprises. Radio, télévision et journaux locaux, tout le petit peuple de la province s'était réuni pour le centenaire de ma grand-mère. Je l'aimais. Tout comme j'aimais son prénom lorsque je le murmurais dans notre langue natale. C'était un mélange de chant et de poésie. Et moi, grande, mince, blonde aux yeux bleux... aux antipodes de l'image qu'on se fait des jeunes femmes des pays du sud, je ne m'imaginais pas porter ce même prénom.

Lorsque je suis née et que j'ai poussé mon premier cri, maman a deviné que j'étais une petite fille. Elle a alors dit : on l'appellera Marie-Rose. C'étant en oubliant papa qui, dès qu'il a vu mon minuscule sexe de petite fille a couru hors de la maison (et oui, je suis née à la maison... dans le même lit que mon frère) et crié partout dans le village que sa petite Carolina venait de naître. Et à cette époque, dans cette contrée lointaine du bout du monde, un père qui donne un prénom à son enfant, cela fait déjà office de baptème.

Carolina, c'était le prénom de ma grand-mère paternelle. Il était fier papa. Il avait déjà un petit garçon et il était si heureux maintenant d'avoir aussi une petite fille. De plus, sa maman était décédée alors qu'il n'avait que 18 ans. Je ne l'ai pas connue. J'avais juste en ma possession une photo jaunie où elle apparaissait. Sublime. Image irréelle d'un être que j'aurais tellement aimé connaître et serrer dans mes bras.

Lorsque, arrivée en Belgique, je suis entrée à l'école primaire, mon prénom ne m'apporta que moqueries de la part de mes petites camarades. Elles le disaient désuet, vieux jeun, ancien, démodé. Et moi, qui ne comprenais pas trop la langue française, je ne comprenais pas pourquoi mon prénom suscitant tant de railleries. Je ne savais pas encore que l'enfance est la période la plus cruelle de la vie. Ce n'est pas de mon prénom qu'elles se moquaient, c'était de moi, de ma nationalité, de mon accent. En fait, de ma différence...

Et puis, l'adolescence est arrivée. Et moi, toujours affublée de ce prénom, je l'ai diminué. Caro. Je devenai Caro. Joli petit surnom très à la mode. J'aimais beaucoup. Je grandissais. Je devenais une grande jeune fille, élancée. Avec de longs cheveux blonds foncés et de grands yeux bleux-verts. Caro m'allait bien. Je commençais soudain à m'aimer, à prendre de l'assurance, à devenir peu à peu celle à qui je voulais tant ressembler : Carolina, ma grand-mère, dont l'image restait gravée en moi constamment.

Etrangement, plus les années passaient, plus ma physionomie devenait identique à la sienne. Mon père était souvent bouleversé lorsque ses yeux se posaient sur moi. Chaque jour, il trouvait un nouveau détail en moi qui lui rappelait sa mère. La photo jaunie ne me quittait pas. Je l'avais faite agrandir et scotchée sur le mur de ma chambre. Je la regardais et regardais, ne me lassant jamais. Cherchant dans chaque millimètre de son visage une parcelle de ressemblance avec moi.

Et puis, un jour, j'ai demandé à papa de me raconter ce qu'avait été sa vie, ses désirs, ses passions, ses joies, ses peines. Et il me parla d'elle durant des heures et des heures, des jours et des jours. J'étais émue, parfois jusqu'aux larmes. Je découvrais une femme à la dérive de ses sentiments. Ecorchée vive entre ses envies et ses devoirs. Esclave d'une vie qu'elle n'avait d'autre choix que d'accepter. Complice pourtant de l'avoir acceptée, car déjà à l'époque, les femmes commençaient à se rebeller contre la dictature maritale. Mais comment faire avec six enfants à élever ?

Crée-t-on sa maladie ? Dilemne qui a enrichi des centaines d'écrivains, de psy, de spécialistes en tout genres et qui encore aujourd'hui ne trouve pas de réponse cohérente. Quoiqu'il en soit, un cancer est venu s'installer dans son corps, lui bouffant l'énergie et la vitalité qu'elle avait toujours mis au service des siens. Elle s'est niée toute sa vie durant, et elle a accepté la maladie avec résignation, presque avec gratitude, comme si elle y trouvait soudain une liberté à laquelle elle n'avait jamais eu droit.

Aujourd'hui, avec le recul, je vois mon parcours et je réalise qu'il est tellement identique au sien. Son histoire est devenue mon histoire. On m'a donné mon prénom un matin de l'année 1962, savait-on déjà qu'on me donnait également sa vie ?

Comme elle, depuis toujours, je me nie pour les autres. Parents. Amis. Mari. Ne pas décevoir. Ne pas faire de mal. Dire oui car ne pas oser dire non. Et la maladie, qui même si elle ne porte pas le nom de cancer, est imprégnée dans tous mes membres et coule dans mes veines.

Carolina, deux mêmes prénoms. Deux mêmes destins. Mais je suis encore là. Avec mon libre arbitre. Le chemin qu'il me reste à parcourir sera remanié, différent, autre que le sien. Elle n'a rien eu de sa vie. J'aurai tout !!!



16/02/2007
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