Liberdade

Liberdade

Adolescence assassinée

Il a fallu me battre. Contre tout et contre tous. Combattre ces mentalités qui m’étaient hostiles, ces regards inquisiteurs et malsains qui me jugeaient, ces sourires narquois et mesquins qui m’étaient adressés avec tant de vacuité qu’ils anéantissaient cette carapace dont mon corps s’était forgé.

Ils m’ont contrainte à déléguer mon rôle de mère à d’autres qu’on ne montrait pas du doigt. Déportation de l’infamie maternelle vers le mirage d’un cocon familial qui finalement n’a été qu’un leurre pour cet enfant que j’avais porté dans mon ventre et que l’on m’a volé.

Cet enfant, fruit de l’érection d’un inconnu de passage facturé 50 euros. Impardonnable pêché à payer par la plus impitoyable des sentences pour une mère, le vol de son bébé.

J’avais 18 ans. Adolescente indisciplinée, violée par un beau-père et répudiée par une mère, se jetant sur la première personne au monde lui témoignant un peu de tendresse. Il s’appelait Romain. Comme j’y ai cru. Comme j’ai voulu y croire. Et je m’y suis accrochée de toute la force de mon innocence. Premiers cadeaux, premiers restaurants, premières vacances. Première fois surtout à me sentir aimée et protégée.

Il savait y faire mon Dieu, comme il était doué pour cela, d’autant plus qu’à cause de mon handicap affectif, je n’étais pas une proie bien difficile. Il lui a fallu si peu de temps pour me faire comprendre que ces premiers cadeaux, ces premiers restaurants, ces premières vacances n’étaient qu’un simple, et oh combien rentable, investissement…

L’investissement voluptueux d’une adolescence assassinée. De lunaire, j’étais devenue putride. Ma propre odeur me donnait la nausée. Ecoeurée jusqu’au fond des tripes, j’ai traversé ma jeunesse entre les cuisses de ces êtres sans morale, ricanant dès que je fermais les miennes.

Romain, lui, ne me regardait même plus. Il regardait juste mes mains, lorsque je les lui tendais, remplies de la recette de la journée. Et quand il compris que les quelques kilos qui enveloppaient de plus en plus lourdement ma silhouette n’étaient que le résultat d’une minime partie de ces gains, la fureur qui s’empara de lui laissa sur mon corps et sur mon âme des traces écrites à jamais à l’encre de sang. Il perdait son salaire, son gagne-pain, son tiroir-caisse.

Aucun Dieu, aucune prophétie jamais n’a pu effacer de ma mémoire cette douleur. J’étais marquée au fer rouge, un peu comme ces êtres à une époque lointaine, marqués du sceau de la peste. Mais, pire que toutes les marques, tous les coups, tous les clients, toute la honte, toute l’humiliation, toute la douleur, pire que toutes les atrocités que j’avais eu à subir, ce fut le manque de toi mon enfant, le manque de te toucher, de te bercer, de te câliner qui m’ont brisé, déchirée, anéantie. Ce fut le manque de toi qui m’a assassiné.



30/01/2007
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